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Péché mortel

Le "maître du suspense" nous a délivré, au fil de ses romans, quelques scènes particulièrement effrayantes, presque insoutenables.

Une manche et la belle (chapitre XV) : le meurtre de Vestale Shelley

Chad a assomé Vestale, son épouse, avec un sac de sable. Il l'a mise dans la voiture et l'a emmenée jusqu'au bord de la falaise. Pour simuler un accident, il a d'abord remplacé la roue avant par une roue avec un pneu éclaté. Il suit un plan méticuleux mais il est en retard sur son timing car le changement de roue dans l'obscurité a été plus difficile que prévu.
Alors qu'il est enfin prêt à envoyer la voiture au fond du précipice, la passagère a disparue !

Le vent montait de la vallée en mugissant et venait battre le flanc de la voiture, la pluie tombait à présent par petits grains intermittents, à mesure que le vent poussait les nuages.
Je demeurais assis, à contempler le siège vide à côté de moi, le cœur cognant à tout rompre. Où était Vestale ? Elle avait dû reprendre connaissance pendant que je changeais la roue.
Je sortis de l’auto et regardai de chaque côté de la route, l’œil hagard.
Il faisait si noir que je ne voyais pas à plus de cinq mètres. En jurant, je bondis à la voiture et mis les phares.
Immédiatement les faisceaux puissants découpèrent sa silhouette sur le flanc humide et noir de la falaise.
Elle s’éloignait lentement de l’auto, en direction de la vallée, marchant d’un pas incertain, les mains tendues devant elle comme une aveugle avançant à tâtons dans une pièce inconnue.
Elle était environ à cent mètres de moi et, pendant un long moment, je demeurais pétrifié derrière le volant, la regardant à travers le pare-brise battu par la pluie.
Je claquais des dents et j’étais prêt à vomir. Il fallait la rattraper. Le temps pressait.
Je descendis la côte en courant. Les phares projetaient devant moi une ombre longue et noire.
Vestale vit l’ombre en mouvement. Elle s’arrêta et se retourna face à moi.
Je m’approchai, ma respiration sifflait entre mes dents serrées.
- « Chad ! Oh ! Chad ! je suis si contente que tu sois là », gémit-elle en titubant vers moi. « Il y a eu un accident, ma tête me fait mal ».
Elle tomba dans mes bras, avant que je n’aie pu la repousser, et se blottit contre moi, nouant ses bras autour de mon cou.
- « Je ne sais pas ce qui est arrivé. J’ai reçu un coup sur la tête. »
Je parvins à la maîtriser et j’arrachai ses bras de ma nuque.
- « Tu me fais mal », cria-t-elle. « Chad ! Qu’est-ce qu’il y a ? Que s’est-il passé ? »
Un souvenir de mon enfance ressurgit dans ma mémoire avec une horrible acuité. En été, par une forte canicule, le chien de mon père était devenu comme fou et m’avait mordu au bras. Mon père décida de l’abattre. Il aimait son chien. Il ne voulait pas lui tirer dessus. Incapable de viser il manqua son coup : la décharge traversa l’estomac et brisa la colonne vertébrale.
Je regardais depuis la fenêtre de ma chambre. Je vis le chien s’écrouler, les pattes arrière paralysées. Il se démenait comme si il était au bout d’un ressort. C’était affreux à voir. Mon père visa la tête mais dut s’y reprendre à trois fois avant de porter un coup mortel. Cependant le chien ne mourut pas immédiatement, il y eut cinq minutes atroces pendant lesquelles il continua de se tordre et de se convulser. Le souvenir de sa mort hanta mes rêves pendant plusieurs années.
Il me semblait à présent que j’allais être forcé de rejouer cette scène du passé. Seulement, cette fois, ce n’était pas mon père qui essayait de tuer un chien, c’était moi qui essayais de tuer une femme.
Mon cerveau s’efforçait de commander à mes mains de la serrer à la gorge, mais il ne fallait pas qu’on la découvrît étranglée… Pour ceux qui trouveraient son cadavre, elle devrait s’être écrasée après une chute de trois cent mètres.
- « Chad ! Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi ne me parles-tu pas ? »
- « Mais si, mais si », dis-je.
Mais aucun son ne sortait de ma bouche. Seules mes lèvres remuaient, tandis que je la regardais, me demandant fiévreusement comment j’allais la tuer.
M’étant tourné légèrement, je me trouvai soudain éclairé par les phares. Elle me regarda. Elle dut voir à l’expression de mon visage que j’étais sur le point de l’assassiner, car elle poussa tout à coup un cri perçant, fit demi-tour et se mit à courir désespérément vers la voiture.
Pendant quelques secondes, je fus incapable de bouger. Je la regardai, le cœur cessant de battre, haletant à grands hoquets saccadés. Puis je me lançai derrière elle, mais impossible de courir. J’avais les jambes en coton. Je la suivis à grandes enjambées, lentes mais déterminées.
Elle regardait derrière elle par-dessus son épaule et me vit venir. J’entendis un faible gémissement de terreur. Elle voulut presser le pas, buta dans une pierre, se tordit la cheville et tomba sur les mains et les genoux.
Elle resta à genoux, au milieu de la route, dans la pleine lumière des phares, me regardant venir, livide, ensanglantée, le visage déformé par la terreur.
En approchant d’elle, je vis une grosse pierre dans l’herbe du bas-côté. Déviant ma course, je l’attrapai au passage sans ralentir le pas.
Agenouillée, immobile, elle m’observait, la bouche pendante, son chapeau noir trempé par la pluie, ses bas en lambeaux.
Je marchai lentement vers elle.
- « Chad ! Je t’en prie ! Ne me touche pas ! » cria-t-elle en m’implorant du regard. « Je t’aime, Chad. Je te donnerai tout ce que j’ai. Ne me frappe pas ! »
Je la saisis par le poignet droit. Le grand silex pointu était comme un poids mort dans ma main.
- « Chad ! »
Ce cri résonne encore à mes oreilles, [ ].
C’était le son le plus horrible que j’aie jamais entendu.
En me voyant lever la pierre, elle ferma les yeux. Elle n’essaya même pas de protéger sa tête avec sa main libre. Elle resta à genoux, immobile, comme un lapin paralysé qui attend la mort.

(Traduction personelle inspirée de celle de Jeanne Witta)

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